Nouvelle Donne - scènes supplémentaires

 

 

 

Une petite scène qui se déroule cinq ans avant le début de la websérie...

 

 Gillian déposa son sac à main dans le casier qui lui servait de vestiaire et leva les yeux vers la pendule suspendue à côté de la fenêtre. Sa première visite guidée ne commençait qu’un peu moins d’une heure plus tard, ce qui lui laissait du temps pour revoir ses notes concernant les différents courants de l’art religieux médiéval. Elle ignorait quelle idée saugrenue était passée par la tête de la propriétaire de la galerie le jour où elle avait accepté d’accueillir cette exposition, et elle attendait la fin du mois avec une impatience qu’elle ne dissimulait pas. Elle parcourut rapidement la moitié de la première page avant de décider qu’elle n’y arriverait pas sans une bonne dose de caféine.
 – J’en prendrai volontiers un aussi.
 Gillian sursauta et quelques gouttes de café tombèrent à côté de sa tasse. Elle jura à voix basse et adressa un regard contrarié à Will, son collègue qu’elle n’avait pas entendu entrer dans la petite pièce.
 – Ah désolé, j’voulais pas te faire peur.
 – Belle réussite. Tu prends du sucre ?
 – Non merci. Je viens de me coltiner une visite avec un groupe de gamins, là j’ai juste besoin de caféine. Est-ce que je t’ai déjà dit que j’ai horreur des gamins ? Et puis franchement, c’est quoi cette expo ?
 – Ne me pose pas cette question.
 – Nan mais c’est vrai, c’est une galerie ici, pas un vieux musée poussiéreux.
 Le jeune homme se laissa tomber sur le canapé avec un soupir dramatique et Gillian songea qu’il aurait dû songer à faire carrière dans le théâtre.
 – Ah au fait, reprit-il. Le type de hier, il est de nouveau là.
 – Qui ?
 – Le grand type brun qui t’a observée pendant une demi-heure hier sans que tu t’en rendes compte. Soit il a une passion tout à fait inquiétante pour la peinture biblique, soit il espère que tu finiras par le remarquer et que tu lui laisseras ton numéro de téléphone.
 – Tu dis n’importe quoi.
 – Gil, tu penses vraiment que quelqu’un trouve cette foutue expo intéressante au point de revenir la voir ? Attends, laisse-moi tourner ça différemment : tu penses vraiment que quelqu’un trouve cette expo intéressante tout court ? Et je t’assure qu’il ne t’a pas quittée des yeux une minute. C’est dommage, d’ailleurs. Il est mignon.
 Gillian ne put retenir un sourire amusé. Elle rangea ses notes dans son casier, puis rassembla ses longs cheveux châtains en un chignon désordonné qu’elle fixa sur le sommet de sa tête au moyen d’un crayon à papier.
 – J’imagine qu’il n’existe qu’un seul moyen de vérifier ça.
 Elle poussa la porte de la salle de repos, traversa le couloir qui menait à la salle d’exposition principale et jeta un coup d’œil discret à l’intérieur. Elle reconnut aussitôt le visiteur dont parlait Will, qu’elle avait effectivement déjà repéré la veille, et chaque jour de la semaine précédente. Elle l’observa à la dérobée pendant quelques instants, intriguée. Il se tenait face à une toile de deux mètres de haut qu’il faisait semblant de contempler avec attention, mais les regards qu’il ne cessait de lancer autour de lui trahissait son absence d’intérêt. La jeune femme se surprit à penser qu’il était plutôt séduisant, et elle aimait l’idée qu’il puisse être revenu plusieurs fois dans l’espoir de la voir. Après une ou deux minutes, elle traversa la salle pour le rejoindre.
 – Ça a l’air de beaucoup vous intéresser, la peinture du Moyen-Âge.
 Surpris, il se tourna vers elle et la dévisagea en silence pendant quelques secondes avant de recouvrer l’usage de la parole.
 – Je, je vous demande pardon ?
 – Je travaille ici depuis presque un an, et je n’avais jamais vu personne revenir aussi souvent. Et dans la même semaine, en plus.
 – Oh, et bien je trouve ça vraiment… fascinant.
 – Je vois. Qu’est-ce qui vous plaît en particulier, dans ce type de peinture ?
 – Heu… tout, la lumière, la… la disposition des éléments, c’est très… beau…
 Elle ne put réprimer une moue amusée, qui ne passa pas inaperçue aux yeux de son interlocuteur.
 – Très bien, je vais vous avouer quelque chose, à condition que ça reste entre nous.
 – Vous avez ma parole.
 – Je n’y connais absolument rien. Mais j’imagine que vous vous en doutiez.
 Gillian secoua la tête.
 – Pas le moins du monde.
 – Je vous remercie de ne pas vous moquer de mon ignorance. Je m’appelle Joe.
 – Enchantée, je m’appelle…
 – Gillian, je sais. C’est écrit sur votre badge.
 – Vous êtes très observateur.
 – Vous n’imaginez pas à quel point.
 Son regard se posa à nouveau sur la toile qu’il contempla pendant quelques secondes avant de se tourner vers elle.
 – Écoutez, je ne veux pas paraître… enfin…
 – Si vous voulez m’inviter à boire un café, je vous répondrai oui.
 Un sourire discret se dessina sur les traits jusque-là trop sérieux de Joe, accompagné d’un soupir soulagé.
 – Vous n’imaginez pas à quel point vous venez de me faciliter la tâche. J’aurais sûrement fini par y arriver, mais ça aurait pu prendre encore un jour ou deux.
 Gillian lui rendit son sourire, sincèrement touchée par la maladresse et la sincérité dont il faisait preuve.
 – Je suis propriétaire d'un café à deux rues d’ici, reprit-il avec davantage d’assurance. Si vous voulez, vous pouvez passer quand vous aurez terminé…
 – Avec plaisir. Je finis vers 18h30.
 – J'ai hâte qu'il soit 18h30 alors. J’imagine que je devrais retourner travailler et vous laisser au vôtre…
 – Ou alors on pourrait prendre un peu d’avance, et je vous accompagne jusqu’à votre café. Je ne commence officiellement que dans une quarantaine de minutes.