Nouvelle Donne - scènes supplémentaires

1.08 - Le Cœur a ses Raisons

 Une pluie diluvienne s'abattait sur la ville lorsque Caitlin et David quittèrent le bar, une heure plus tard.
 - J'espère que votre voiture n'est pas garée trop loin.
 Caitlin secoua la tête.
 - Je l'ai laissée à deux minutes d'ici. La vôtre ?
 - Je suis venu en bus.
 La jeune femme leva les yeux et contempla un instant le ciel. Elle avait souvent utilisé les transports publics pour accompagner Rose chez David, et elle savait que l'arrêt le plus proche se trouvait à dix bonnes minutes de marche. Il serait probablement trempé jusqu'aux os avant d'y parvenir.
 - Je vais vous raccompagner.
 - Ne vous inquiétez pas pour moi.
 - Vous plaisantez ? Avec cette pluie, vous aurez attrapé une pneumonie avant d'être arrivé chez vous. Et vos patients ont bien trop besoin de vous pour que vous preniez la liberté de tomber malade.
 David lui lança un regard amusé.
 - Très bien, j'imagine que face à de tels arguments, je ne peux que capituler.
 - Absolument.
 La jeune femme esquissa un bref sourire et prit la direction du parking où elle avait laissé sa voiture, immédiatement suivie par David. Lorsqu'ils y parvirent, Caitlin sentait déjà l'humidité à travers ses vêtements et des gouttes d'eau se détachaient de ses cheveux pour glisser sous le col de son pull-over.
 - Imaginez dans quel état vous seriez arrivé à votre arrêt de bus, plaisanta-t-elle.
 David prit place sur le siège du passager et referma la portière derrière lui. Celle-ci émit un grincement un peu inquiétant.
 - Je pensais qu'on ne trouvait plus ce genre de modèles que dans les musées, constata David avec un sourire.
 - Très amusant. J'éviterais de trop me moquer, à votre place. Les vieilles voitures sont capricieuses.
 La jeune femme mit le contact et le moteur protesta lorsqu'elle retira son pied de la pédale d'embrayage. David se retint d'éclater de rire et lui indiqua le chemin le plus court pour regagner le quartier dans lequel il vivait.
 - Je suis très impressionné, admit-il lorsque la Volkswagen s'immobilisa au pied de la vieille bâtisse où se trouvait son appartement. Je nous imaginais déjà devoir la pousser sous la pluie.
 - Rassurez-vous, je vous aurais laissé faire et je serais restée bien confortablement à l'intérieur.
 David roula des yeux et adopta un air faussement exaspéré.
 - Les femmes abusent toujours de la galanterie.
 Caitlin esquissa un sourire et s'efforça de réprimer le frisson qui lui parcourut la colonne vertébrale.
 - Dommage que ça ne fonctionne que si rarement.
 - Vous avez sûrement raison. Un homme galant ne vous laisserait sans doute pas grelotter derrière votre volant sous prétexte de faire la conversation. Est-ce que vous voulez monter et vous réchauffer un peu avant de rentrer chez vous ?
 Caitlin tourna la tête vers lui, un peu surprise par cette proposition inattendue. Elle n'hésita cependant pas très longtemps avant d'accepter d'un hochement de la tête. Ils se glissèrent rapidement hors de la voiture, traversèrent la rue et se hâtèrent de se réfugier sous le porche de la maison. David composa le code de sécurité de la porte, et précéda Caitlin dans les escaliers, jusqu'au palier du deuxième étage.
 - Nous y sommes. J'espère que vous ne ferez pas trop attention au désordre. J'ai emménagé ici il y a bientôt deux ans et je n'ai toujours pas terminé de tout mettre en place.
 David introduisit sa clé dans la serrure d'une porte qui grinça en tournant sur ses gonds. Il s'écarta pour laisser passer Caitlin et referma derrière eux. La jeune femme remarqua quelques cartons entassés un peu plus loin dans le corridor, dont les murs en crépi beige ne comportaient aucune forme de décoration. David l'accompagna jusqu'au living-room et l'invita à s'installer tandis qu'il contournait le comptoir qui délimitait la cuisine.
 - Qu'est-ce que je vous sers ? Je peux vous faire du café, du thé… Sinon j'ai quelques sodas, de la bière au frigo… et une bouteille de vin rouge qui n'attend que d'être débouchée.
 Caitlin demeura silencieuse pendant quelques secondes. Du thé. Voilà ce qu'elle voulait, une tasse de thé fumant. À la fois pour se réchauffer et se débarrasser des effets de l'alcool qu'elle avait déjà ingurgité.
 - Je prendrai volontiers un peu de vin.
 Elle prit place sur le petit canapé et laissa ses yeux vagabonder autour d'elle. L'éclairage artificiel de la rue filtrait à travers les rideaux qui ornaient l'unique fenêtre, dessinant des tâches de lumière sur les murs blancs et le faux parquet. Son regard s'attarda un instant le long de ces formes irrégulières avant de se poser sur une petite bibliothèque située sur sa droite. Sur l'un des rayonnages, une photographie encadrée attira son attention. Caitlin se releva et s'approcha pour la regarder. Elle représentait deux enfants d'une dizaine d'années, un garçon et une fille, photographiés à leur insu alors qu'ils jouaient dans un parc.
 - Mes enfants.
 Caitlin sursauta. Elle n'avait pas entendu David revenir dans le salon. Il s'assit sur le canapé et elle vint prendre place à côté de lui, en prenant bien soin de laisser suffisamment de distance entre eux.
 - J'avais deviné. J'ai rencontré votre fils, le mois dernier, quand nous nous sommes croisés au…
 - Supermarché, c'est juste. Leur mère était en voyage avec l'entreprise où travaille son mari, ils passaient exceptionnellement quelques jours ici. Tenez.
 Caitlin s'empara du verre qu'il lui tendait. Leurs doigts s'effleurèrent au passage et elle s'empressa de retirer sa main.
 - Santé, murmura-t-elle, sans oser le regarder.
 Elle avala très lentement la première gorgée, savourant le goût à la fois amer et sucré du vin sur sa langue. Elle se souvenait que Jason se moquait souvent d'elle, au début de leur mariage, à cause du refus systématique qu'elle lui opposait lorsqu'il lui en proposait. Elle ne comprenait même pas comment une personne normale pouvait aimer ça. La jeune femme porta une seconde fois le verre à ses lèvres puis le déposa sur la table basse.
 - Il est délicieux.
 - Production familiale. Un de mes cousins possède un vignoble. C'est une sorte de tradition, tous les ans sa femme menace de le quitter, je passe quelques jours à jouer au conseiller conjugal, et je repars avec une douzaine de bouteilles dans le coffre de ma voiture.
 - Et vous réussissez à la convaincre de rester chaque année ?
 - Je suis particulièrement doué pour résoudre les problèmes de couple, tant qu'il ne s'agit pas du mien.
 Caitlin esquissa un sourire et croisa les mains sur ses genoux, espérant ainsi parvenir à maîtriser le tremblement nerveux qui s'emparait d'elle. Elle se sentait incroyablement stupide, à la fois d'avoir accepté cette invitation et de ne pas être capable de l'assumer.
 - Je ne sais pas si j'aurais dû monter, lâcha-t-elle finalement. C'était sans doute une erreur, je ferais mieux d'y aller.
 Sans rien ajouter, elle se leva et quitta la pièce. David n'avait pas bougé, et elle se sentit vaguement contrariée. Une part d'elle-même aurait souhaité qu'il tente de la retenir. Toutefois, à l'instant où elle posait la main sur la poignée de la porte, elle entendit des pas derrière elle. Elle aurait encore pu partir, mais ses muscles ne répondaient plus aux ordres que transmettait son cerveau. Elle demeura parfaitement immobile et attendit qu'il la rejoigne et que ses doigts encerclent son poignet pour pivoter très lentement sur ses talons. Il se tenait à quelques centimètres d'elle, suffisamment près pour qu'elle puisse sentir le parfum de son eau de Cologne, entendre le souffle régulier de sa respiration. Caitlin détourna nerveusement la tête mais ne trouva rien sur quoi fixer son regard et ses yeux revinrent naturellement se poser sur lui. La main de David lâcha son poignet et remonta délicatement le long de son bras, s'immobilisa un instant à la naissance de son cou avant de reprendre son chemin pour s'arrêter sur son visage. Caitlin savait qu'elle aurait dû le repousser, mais elle n'opposa aucune forme de résistance lorsque les lèvres de David effleurèrent les siennes avant de glisser dans sa nuque. Caitlin laissa échapper un faible gémissement, qui emporta avec lui le peu de volonté qui lui restait encore pour s'écarter de lui.
 - Il ne faut pas, souffla-t-elle.
 - Je sais.
 Leurs lèvres se rencontrèrent une nouvelle fois et, dans les secondes qui suivirent, Caitlin avait tout oublié des milliers de raisons qui auraient dû la pousser à quitter cet appartement sur-le-champ.