Nouvelle Donne - épisode pilote

Rose

  Caitlin Pryce reposa son stylo avec un soupir de soulagement. Elle venait de passer une journée complète à s'occuper des tas de paperasserie administrative qui s'empilaient sur son bureau depuis des semaines. Depuis qu'elle avait accepté de nouvelles responsabilités au sein de l'agence immobilière où elle travaillait depuis déjà de nombreuses années. Son patron s'était bien entendu gardé de préciser que lorsqu'il parlait de "quelques papiers à remplir et à me transmettre", il s'agissait en réalité, entre autres, de contrôler les ventes de la moitié de ses collègues. Malheureusement, il lui était à présent difficile de revenir en arrière et d'expliquer à l'homme qui l'employait qu'elle n'avait, tout compte fait, pas vraiment envie d'assumer ce travail supplémentaire. 
  La sonnerie de son téléphone portable la tira brusquement de sa réflexion. Elle jeta un œil à l'écran, priant pour qu'il ne s'agisse pas de Robert, un homme du genre plutôt collant avec qui elle essayait de rompre depuis plus d'un mois. Heureusement, l'appareil indiquait "maison". Malgré elle, la jeune femme sentit l'inquiétude l'envahir ; ses filles n'étaient pas censées l'appeler lorsqu'elle se trouvait à son bureau, sauf si quelque chose de grave s'était produit. Tout en s'efforçant de maîtriser le léger tremblement de sa main, Caitlin appuya sur la touche 'répondre'.
  - Allô ? demanda-t-elle.
  Aussitôt, la voix surexcitée de sa fille cadette, Lucy, retentit à ses oreilles, lui indiquant qu'il ne s'agissait pas d'une mauvaise nouvelle.
  - Maman ! s'exclama la fillette. Je sais qu'on ne doit pas te téléphoner à ton travail, mais tu croiras jamais qui vient d'appeler !
  - Laisse-moi deviner, Michael Jackson peut-être ? répondit Caitlin, à la fois amusée et intriguée par l'enthousiasme de son enfant.
  - C'est pas drôle, je suis sérieuse ! Allez, essaie encore !
  - Je ne sais pas ma chérie, je donne ma langue au chat…
  - Papa !
  - Quoi ??
  - Papa ! C'est lui qui vient d'appeler ! Je t'ai téléphoné tout de suite après avoir raccroché !
  Il fallut quelques temps à la jeune femme pour assimiler les paroles de Lucy. Techniquement, il était presque impossible que Jason, son ex-mari et le père de ses enfants, ait téléphoné. Il ne le faisait jamais, excepté environ trois fois pas an, pour les anniversaires des filles et à Noël. 
  - Maman, tu es toujours là ?
  - Je suis là, articula Caitlin. Lucy, est-ce que tu peux me passer ta sœur ?
  - Angie ne lui a pas parlé, elle aurait raccroché tout de suite si je ne l'en avais pas empêché.
  - Et est-ce que ton père… est-ce qu'il t'a dit ce qu'il voulait ?
  - Juste qu'il passait le week-end à San Francisco, et qu'il allait passer nous dire bonjour, sûrement demain, ou alors dimanche. C'est cool non ?
  - Très cool, oui, répondit la jeune femme d'un ton qui manquait de conviction. Je dois te laisser ma puce, j'ai encore du travail. Je ne rentrerai pas tard.
  - Je suis désolée si je t'ai dérangée, mais il fallait absolument que je te le dise !
  - Tu as bien fait. A ce soir, je t'aime ma chérie.
  - Je t'aime aussi maman. Bye.
  Caitlin coupa la communication, apposa encore sa signature sur quelques documents, mais fut incapable de se concentrer sur le travail qui lui restait à effectuer. Elle ne parvenait pas à le croire, il devait forcément s'agir d'une mauvaise blague. Cela faisait bien deux ans qu'elle n'avait pas revu son ex-mari, et plusieurs mois s'étaient écoulés depuis qu'elle l'avait eu au téléphone pour la dernière fois. Elle ne savait d'ailleurs pas grand chose de la vie qu'il menait à présent. A sa connaissance, il résidait quelque part aux abords de Los Angeles, avec sa seconde épouse et leur fille, qui devait être âgée d'à peu près huit ans. Jason avait été le grand amour de sa vie, mais depuis leur divorce, aucun d'eux n'avait cherché à garder le contact. Caitlin n'avait même pas eu besoin de se battre pour obtenir la garde exclusive de leurs enfants. Jason avait alors déjà fondé un nouveau foyer, au sein duquel ni Lucy ni Angela, leur fille aînée, n'avaient leur place. Autrefois, elle l'avait considéré comme l'homme de sa vie, le premier qu'elle avait vraiment aimé. Mais depuis le divorce, ils étaient devenus des étrangers l'un pour l'autre, et moins Caitlin entendait parler de lui, mieux elle se portait.
  - Caitlin ?
  La jeune femme releva la tête, brusquement tirée de ses pensées. Son patron, M. Jefferson, se tenait dans l'embrasure de la porte de son bureau, qu'elle avait l'habitude de laisser ouverte.
  - Caitlin est-ce que tout va bien ?
  - Ca va, se contenta-t-elle de répondre tout en faisant mine de se replonger dans ses dossiers.
  - Cela doit bien faire deux minutes que je suis là, et vous avez l'air plutôt dans la lune. Peut-être que vous devriez rentrer chez vous, je ne vous ai pas vue sortir de ce bureau de toute la journée.
  - J'ai juste une ou deux choses à terminer, je n'en ai plus pour long. Est-ce que vous vouliez me parler de quelque chose ?
  - Juste m'assurer qu'on vous a bien transmis les papiers pour la vente des MacPherson.
  - Je les ai, ils seront sur votre bureau lundi matin.
  - Très bien, ce sera parfait. Et essayez de vous reposer un peu, ce week-end.
  Caitlin hocha la tête, même si elle savait parfaitement bien que ces deux jours de congé ne seraient de loin pas des vacances. Elle préférait d'ailleurs ne même pas penser à la probable visite de Jason, le simple fait de l'imaginer pénétrant dans sa maison suffisait à lui donner la nausée. Elle acheva distraitement de remplir quelques documents qu'elle laissa à la secrétaire de M. Jefferson, et se hâta de quitter l'agence. Une pluie torrentielle s'abattait depuis plusieurs jours sur San Francisco et, en y repensant, Caitlin réalisa que ce fut presque un miracle qu'elle n'ait causé aucun accident ce soir-là. De toute sa vie, elle n'avait probablement jamais aussi mal roulé, mais sa façon de conduire était à ce moment-là le cadet de ses soucis. Elle ne pouvait s'empêcher de penser continuellement à cet appel de Jason et priait intérieurement pour qu'il ne s'agisse de rien d'autre que d'une blague de très mauvais goût.
  Le soir tombait lorsqu'elle gara sa voiture sur la place de parking qui lui était réservée, devant le portail qui entourait sa maison. L'air avait considérablement fraîchi, et elle serra sa veste sur sa poitrine tandis qu'elle montait rapidement les quelques marches du perron. Une odeur de gâteau au chocolat l'accueillit lorsqu'elle poussa la porte d'entrée, et elle compris que Lucy avait probablement décidé de se mettre aux fourneaux pour préparer la visite de son père.
  - Je suis là, lança-t-elle en retirant sa veste humide qu'elle accrocha au porte-manteaux.
  Aussitôt, la petite tête blonde de sa fille cadette apparut dans l'encadrement de la porte de la cuisine, le visage illuminé d'un sourire qui s'étendait d'une oreille à l'autre.
  - J'ai fait du gâteau pour papa ! annonça-t-elle, non sans fierté.
  - Vraiment je crois pas que t'ais besoin de le dire ! lui répondit la voix de sa sœur. Ca se sent à travers tout le quartier, vraiment c'est écœurant !
  - Bonsoir, dit Caitlin à l'intention de sa fille aînée, qu'elle trouva vautrée devant la télévision. C'est allé ton contrôle de math ?
  - Je sais pas, répondit-elle en haussant les épaules, sans quitter des yeux le programme qu'elle suivait. Tu es au courant de la "bonne nouvelle" n'est-ce pas ? ajouta-t-elle avec cynisme.
  - Je suis au courant.
  Angela daigna enfin lever les yeux vers sa mère.
  - Tu vas l'empêcher de venir, n'est-ce pas ? Je refuse qu'il m'approche, je te préviens, s'il vient, je vais passer la journée chez Kira !
  Caitlin ne s'étonna guère de la mauvaise humeur de sa fille. Angela était âgée de sept ans lorsque ses parents avaient divorcé, et jamais elle n'avait pardonné à son père la manière dont il s'était totalement désintéressé d'elle et de sa sœur.
  - Je ne comprends vraiment pas comment Lucy peut être aussi contente ! continua l'adolescente, la voix tremblante de colère. Il nous a abandonnées comme si on ne valait pas mieux qu'une paire de vieilles chaussettes, et elle, elle le voit comme un héros ! Elle est vraiment trop idiote !
  - Angie, murmura Caitlin en passant une main dans les cheveux bruns de sa fille, s'il te plaît, ne parle pas de ta sœur comme ça. On en a déjà discuté, elle était trop petite à l'époque…
  - Mais maintenant ! Elle se rend bien compte qu'il se fiche royalement de ce qu'on peut bien devenir ! Elle sait très bien que c'est à peine s'il paie cette foutue pension tous les mois ! C'est tout juste s'il téléphone pour nos anniversaire, ne me dis pas qu'elle trouve ça normal ! Et il dit qu'il va se ramener, comme ça, sans qu'on l'ait invité, avec sa salope et leur sale môme, et on dirait qu'on vient de lui annoncer qu'on allait fêter deux fois Noël cette année !
  Caitlin fut incapable de répondre quoi que ce soit. A aucun moment elle n'avait réalisé que Jason pourrait venir avec sa famille.
  - Angie, est-ce qu'il a dit qu'il viendrait avec elles ?
  - Il a dit qu'ils étaient en week-end à San Francisco, et qu'ils allaient passer nous voir. Il a ajouté que c'était quand même un comble, qu'on a une sœur qu'on ne connaît même pas. La faute à qui ?! Quel sale hypocrite !
  - Calme-toi, ma chérie. Est-ce qu'il a laissé un numéro de téléphone où je peux le joindre ?
  - Tu parles ! Il savait très bien que tu ne voudrais pas qu'il vienne, il aurait téléphoné à l'agence s'il avait voulu te parler. S'il te plait maman, vraiment je ne veux pas le voir… Je n'y suis pas obligée, n'est-ce pas ? C'est pas comme s'il avait un droit de garde…
  - Il a un droit de visite, et c'est quand même ton père, articula la jeune femme.
  - Ca ne l'as jamais intéressé de nous rendre visite ! Pourquoi maintenant ? Tu ne peux pas appeler Tante Gil et lui demander si je peux aller passer la journée avec elle et Joe au café ? Je suis sûre qu'elle serait d'accord…
  - Je l'appellerai, promit Caitlin, ramenant un sourire sur le visage de sa fille. Je le ferai dès que nous aurons mangé. Va dire à ta sœur qu'elle range la cuisine.
  Angela hocha la tête, se leva du canapé et prit la direction de la cuisine, laissant sa mère seule dans le salon. Pendant une seconde, Caitlin fut tentée de téléphoner à sa sœur sur-le-champ. C'était toujours vers elle qu'elle se tournait lorsque quelque chose n'allait pas ou qu'elle se trouvait face à une situation qui la dépassait, comme c'était le cas en cet instant. Il lui semblait souvent que lorsqu'elle exposait ses problèmes à Gillian, ceux-ci lui apparaissaient instantanément moins insurmontables. Cependant, ce cas-ci était différent, et elle savait que jamais sa sœur ne se montrerait objective s'agissant de Jason. Elle lui conseillerait certainement de se barricader avec les filles à l'intérieur de la maison et de ne laisser entrer absolument personne, ou encore de partir pour le week-end dans un endroit où elle serait certaine que son ex-mari ne les trouverait pas. Gillian n'était pas d'une nature rancunière, sauf quand il s'agissait de l'ex-mari de sa sœur.
  Caitlin ferma les yeux et s'enfonça dans le canapé. Elle aurait aimé pouvoir juste s'endormir pour se réveiller et réaliser que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Tu dramatises, se dit-elle en se forçant à se redresser. Vous êtes divorcés depuis des années, peut-être qu'il serait temps d'essayer d'enterrer la hache de guerre… Après tout, c'est peut-être ce qu'il veut… Il n'a pas entièrement tord, les filles ne connaissent même pas leur petite sœur… Cependant, le seul fait de penser à cette enfant faisait renaître en elle la colère qu'elle avait ressentie des années plus tôt, lorsqu'elle avait découvert que Jason la trompait, depuis près d'une année.
  - Maman ? On peut faire des crêpes ?
  Caitlin leva les yeux vers Lucy qui se tenait dans l'encadrement de la porte. Elle avait relevé ses longs cheveux blonds en une épaisse queue-de-cheval et revêtu un tablier de cuisine trop grand pour elle qui était à présent couvert de tâches de chocolat. Caitlin ne put s'empêcher de sourire en la voyant ainsi. A 12 ans, Lucy était un vrai petit rayon de soleil au sein de la famille. Alors que sa sœur traversait parfois avec difficulté ce que certains appellent "l'âge ingrat", elle n'avait pas encore perdu sa simplicité d'enfant et était naturellement gaie et de bonne humeur, malgré son caractère plutôt calme et réservé.
  - C'est une bonne idée, approuva la jeune femme en hochant la tête. J'étais justement en train de me demander ce que je pourrais vous faire à manger.
  Lucy la remercia d'un large sourire, lui prit la main et l'entraîna à sa suite jusqu'à la cuisine. La soirée passa rapidement, et, occupée à préparer le repas avec ses filles, Caitlin parvint même à ne plus penser à Jason pendant quelques heures. Lorsque Lucy et Angela furent finalement toutes deux couchées, la jeune femme se décida à téléphoner à Gillian. Comme elle le prévoyait, la réaction de sa sœur fut très violente.
  - Tu rigoles j'espère ?! s'exclama-t-elle lorsque Caitlin lui eut tout raconté.
  - J'aimerais bien…
  - Katie, tu ne vas quand même pas le laisser débarquer comme ça, parce que ça lui fait plaisir ! Ca fait combien de temps qu'il n'a même pas téléphoné ?
  - La dernière fois, ça devait être en mai, pour l'anniversaire de Lucy… Gil, franchement je ne sais pas quoi faire. J'aimerais lui interdire d'entrer chez moi, seulement…
  - Seulement quoi ?
  - Va savoir s'il ne serait pas capable de réclamer la garde partagée…
  - C'est ridicule, aucun juge du monde ne lui accorderait le moindre droit sur ces enfants, à moins d'être le même genre de pourriture que lui ! C'est à peine s'il a manifesté le désir de les voir deux ou trois fois depuis que vous avez divorcé, et ça remonte à plus de huit ans !
  - Lucy serait terriblement déçue si je refusais qu'il vienne.
  Caitlin se sentait comme dans une impasse. Quoi qu'elle fasse, une de ses filles lui en voudrait. Angela l'accuserait de ne pas savoir les protéger des incursions que faisait leur père dans leur vie, et Lucy lui reprocherait de ne pas lui laisser une chance de le connaître.
  - Lucy est encore trop jeune pour comprendre à quel point ce que son père a fait est grave ! Bon sang, on ne fait pas des enfants pour s'en désintéresser totalement par la suite !
  - Je crois que j'aurais mieux fait de ne pas t'appeler.
  - Pourquoi ?
  - Tu t'énerves.
  - Je sais, excuse-moi… Mais tu admettras qu'il y a de quoi se mettre en colère.
  Caitlin ne répondit rien. Elle ne savait plus trop si c'était vraiment de la colère ou juste de l'appréhension qu'elle ressentait. Lorsqu'elle raccrocha quelques minutes plus tard, elle ne se sentait pas mieux du tout, contrairement à ce qu'elle avait espéré. Elle savait qu'elle n'avait pas le choix, que si Jason manifestait le désir de venir rendre visite à ses filles, rien ne pouvait l'en empêcher. Au contraire, si elle refusait qu'il vienne, ce serait elle qui se trouverait en position de faute face à la loi qui accordait au père de Lucy et Angela le droit de les voir un week-end sur deux. Cependant, elle ne pouvait s'empêcher de redouter cet instant où elle se trouverait face à son ex-mari, confrontée qui plus est à la nouvelle famille qu'il avait fondée. Après leur divorce, Jason avait su aller de l'avant et se bâtir une nouvelle vie, alors qu'elle-même n'avait jamais rien fait d'autre que de s'enfermer dans le passé. En plus de huit ans, elle n'avait pour ainsi dire connu aucun homme. Elle avait bien eu quelques relations, mais jamais rien de très sérieux, jamais rien qui n'ait duré davantage que quelques semaines. Elle avait fini par en déduire que quelque chose ne tournait pas rond chez elle, mais était bien incapable de déterminer quoi.

*

  Le matin se levait à peine lorsque Caitlin ouvrit les yeux, éveillée en sursaut au beau milieu d'un rêve dont elle ne se rappelait rien, sinon qu'il n'avait pas été très agréable. Une lumière grisâtre se glissait presque timidement à travers les stores, et seul le martèlement de la pluie sur le toit venait rompre le silence. Un rapide coup d'œil au radio-réveil qui se trouvait à côté d'elle sur la table de nuit lui indiqua qu'il était un peu moins de six heures du matin. Pendant un instant, elle envisagea de se retourner dans son lit et de se rendormir. On était samedi matin, et elle savait que Lucy et Angela ne seraient de toute manière pas levées avant encore plusieurs heures. Néanmoins, à peine avait-elle fermé les paupières que le souvenir désagréable du cauchemar qu'elle venait de faire l'assaillit, se déroulant sous ses yeux aussi clairement que si elle l'avait regardé à la télévision. Elle se trouvait en voiture avec ses filles, Gillian et Joe, le petit ami de cette dernière. Une tempête d'une violence destructrice s'abattait sur eux, l'empêchant de voir la route à plus d'un mètre. Et soudain, sans qu'elle ne sache comment, une petite fille aux longs cheveux sombres apparaissait juste face à elle, sans qu'elle ne puisse rien faire pour l'éviter.
  Caitlin se redressa d'un seul coup, le souffle coupé. Elle regarda à nouveau du côté de son réveil ; quelques minutes à peine s'étaient écoulées. Troublée, elle décida de se lever, sachant qu'elle ne parviendrait de toute manière pas à retrouver le sommeil. Elle s'enveloppa chaudement dans un peignoir, enfila une paire de pantoufles, et se glissa hors de sa chambre. Un calme presque étrange régnait dans la maison, et Caitlin remarqua que la pluie avait presque cessé de tomber. Elle se rendit à la cuisine en s'efforçant de faire le moins de bruit possible, se fit couler une tasse de thé et prit la direction du living room. Lorsqu'elle pénétra dans la pièce, son regard s'attarda quelques instants sur la multitude de photographies qui décoraient les étagères depuis si longtemps qu'elles faisaient désormais partie intégrante du décor ; Angela exhibant fièrement la coupe dorée qu'elle avait remportée avec l'équipe de basket-ball de son école, Lucy en train de peindre avec Gillian dans l'atelier de cette dernière, toutes les deux montées sur des chevaux lors des dernières vacances d'été… Mais rien se rapportant à une époque plus ancienne, lorsqu'elle était encore mariée à Jason et qu'ils formaient, tous les quatre, une famille que l'on aurait pu considérer comme modèle. Elle avait toujours tout fait pour bannir cette période de sa vie, sans jamais y parvenir. Plus de huit ans après le divorce, elle sentait toujours cette même amertume la gagner dès qu'il était question de ses années de mariage.
  Des pas dans le couloirs attirèrent son attention, et elle se retourna pour voir de qui il s'agissait. Lucy se trouvait à l'entrée de la pièce, vêtue de sa chemise de nuit, les cheveux ébouriffés et les pieds nus.
  - Que fais-tu ici ma chérie ? s'étonna Caitlin. Tu devrais être en train de dormir…
  - Je pourrais te poser la même question, répondit la fillette, avant d'ajouter avec un haussement d'épaules : Je n'arrivais plus à dormir, et j'ai entendu que tu t'étais levée…
  Lucy s'avança lentement et rejoignit sa mère sur le canapé.
  - Je suis vraiment contente que papa vienne, tu sais…
  - Je sais.
  - Maman, pourquoi est-ce que toi et Angie vous le détestez autant ?
  Caitlin poussa un petit soupir et attira doucement sa fille contre elle. Jamais elle n'avait parlé à Lucy des circonstances qui avaient accompagné le divorce. Elle était bien trop jeune, à l'époque, et même une fois qu'elle avait été suffisamment âgée pour comprendre, elle avait toujours préféré lui cacher la vérité. Cela n'aurait selon elle servit à rien d'autre qu'à la bouleverser.
  - Je ne crois pas qu'Angie déteste votre père, ma puce. Elle est fâchée après lui car elle pense qu'il devrait passer plus de temps avec vous, mais au fond d'elle-même je suis certaine qu'elle l'aime très fort et qu'elle est ravie qu'il vienne vous voir.
  - Oui mais toi, maman. Pourquoi est-ce que tu le détestes ? Vous vous aimiez, avant…
  - Ton père a commis des erreurs, et sûrement que moi aussi. Les relations entre adultes sont parfois très compliquées, bien trop compliquées pour que tu cherches à les comprendre. Et cela ne doit surtout pas t'empêcher de te réjouir de la visite de ton père. Tu comprends ?
  Lucy hocha pensivement la tête, et Caitlin la serra plus fort dans ses bras, passant doucement la main dans ses longs cheveux blonds. Quelques minutes s'écoulèrent ainsi, puis la fillette se redressa d'un seul coup et tourna la tête vers sa mère, le visage illuminé d'un large sourire.
  - Je vais aller faire des brownies ! annonça-t-elle avant de se lever et de se précipiter en courrant vers la cuisine.

*

  Caitlin jeta un rapide coup d'œil à sa montre, puis reporta son attention sur la rue qui s'étendait de l'autre côté de la fenêtre. Il était déjà près de dix-huit heures, et Jason ne s'était pas encore montré. La jeune femme avait eu beau s'efforcer de s'occuper l'esprit pendant la plus grande partie de la journée, sa nervosité ne cessait de croître au fur et à mesure que la petite aiguille avançait sur le cadran. Pour ne rien arranger, Angela s'était montrée d'une humeur exécrable dès l'instant où elle avait quitté son lit, et Lucy, d'ordinaire si calme, semblait tout simplement incapable de maîtriser son excitation. Elle avait passé la majeure partie de la journée à préparer des gâteaux et des biscuits qui s'accumulaient à présent sur la table de la cuisine avec ceux qu'elle avait faits la veille. Elle serait d'ailleurs bien restée aux fourneaux si Caitlin ne lui avait pas fait remarquer d'une armée entière ne viendrait pas à bout de toutes ses pâtisseries, et la fillette avait alors décidé avec le même enthousiasme qu'elle allait peindre quelque chose pour l'offrir à sa petite sœur.
  Caitlin lâcha le rideau qui retomba légèrement sur les carreaux. Au dehors, la lumière du jour diminuait peu à peu, tandis que les ombres projetées sur le sol par les réverbères s'allongeaient toujours davantage. Il ne tarderait pas à faire nuit, et elle doutait de plus en plus que Jason vienne ce jour-là. Une part d'elle se sentait bien sûr soulagée, mais elle aurait également souhaité éliminer cette épreuve le plus tôt possible. D'autant que s'il ne venait pas, il lui faudrait encore affronter l'excitation de Lucy et la mauvaise humeur d'Angela un jour de plus.
  Un crissement de gravier dans l'allée devant la maison attira soudain son attention. Le cœur battant, la jeune femme s'approcha à nouveau de la fenêtre et, soulevant un coin du rideau, risqua un coup d'œil au dehors. Une Ford bleue s'était immobilisée à proximité de sa propre voiture, et elle reconnut instantanément le véhicule ; Jason l'avait achetée peu de temps après leur divorce. Désireuse de retarder le plus possible l'instant où elle devrait le voir, elle se détourna vivement de la fenêtre au moment où les portières de la voiture s'ouvraient. Depuis combien de temps n'avait-elle pas vu son ex-mari ? Elle aurait été incapable de le déterminer avec précision. Cela remontait à plusieurs années, ils s'étaient rencontrés par hasard un soir alors qu'ils faisaient leurs courses de Noël. Lucy n'avait pas dix ans à l'époque… La sonnerie de l'entrée retentit comme un hurlement aux oreilles de la jeune femme qui fut pendant quelques instants parfaitement incapable de faire le moindre mouvement pour aller ouvrir. Elle n'eut d'ailleurs nullement besoin de le faire, déjà des pas précipités dévalaient l'escalier, alors que la porte d'une chambre claquait violemment au premier étage. Les exclamations enthousiastes de Lucy parvinrent à sa mère au moment où la fillette ouvrait la porte, et Caitlin se décida à la rejoindre.
  Jason n'avait pas tellement changé. Il ressemblait toujours plus ou moins à cet adolescent charmeur qui l'avait autrefois séduite ; grand blond aux yeux verts et à la carrure d'athlète, il ressemblait à un héros de série télé pour adolescentes. Il faisait partie de ces garçons avec lesquels toutes les filles rêvent de sortir, et lorsque Caitlin avait réalisé que c'était elle qu'il avait choisie parmi sa foule de prétendantes, elle s'était sentie la personne la plus chanceuse au monde. Sans doute était-ce également ce que Monica Stevens avait ressenti lorsqu'il avait quitté femme et enfants pour refaire sa vie avec elle. A présent, Jason était âgé de 37 ans, mais n'avait rien perdu de cet air d'éternel séducteur que Caitlin lui avait toujours connu, malgré les quelques rides qui marquaient son visage et les fils argentés parsemés dans son épaisse chevelure. Monica se tenait derrière lui, un peu en retrait, et leur fille se trouvait entre eux deux, cachée par son père à la vue de Caitlin.
  - Lucy, ma princesse ! s'exclama Jason en posant ses mains sur les épaules de sa fille. Seigneur, comme tu as grandi ! Tu es déjà une vraie petite femme !
  - Elle n'a que 12 ans, fit remarquer Caitlin d'un ton tranchant tout en s'approchant.
Jason leva les yeux vers elle et lui adressa un large sourire. Un sourire qui, s'il l'aurait mise dans tous ses états quelques années plus tôt, lui donna envie de vomir.
  - Kate, ça faisait longtemps. Je suis content de te revoir.
  - C'est ça, grommela la jeune femme, s'écartant de lui lorsqu'il s'avança pour l'embrasser sur la joue.
  Sans se laisser troubler par ce rejet, Jason sourit de plus belle et s'écarta pour laisser passer devant lui sa femme et leur fille.
  - Kate, je crois que tu connais déjà Monica…
  Quel hypocrite ! pensa Caitlin en serrant rapidement la main que la jeune femme lui tendait. Jason la lui avait présentée des années auparavant, alors qu'elle pensait encore que tout allait pour le mieux au sein de leur couple et sans qu'elle ne se doute un seul instant qu'il avait pour habitude d'accueillir cette femme dans son bureau presque tous les soirs, après les heures de fermeture, en prétextant du travail en retard.
  - … et voici Rose. Ta petite sœur, Luce.
  Caitlin sentit le sang se retirer de son visage lorsque ses yeux se posèrent sur la petite fille. Ce teint pâle, ces longs cheveux sombres… La petite Rose était la copie conforme de la fillette qu'elle avait aperçue dans son rêve. 
  - Kate, tout va bien ?
  Caitlin se força à relever les yeux. Sans rien répondre, elle fit signe à ses visiteurs de ne pas rester sur le palier. Tandis qu'il aidait Rose à retirer son petit manteau, Jason s'étonna de ne pas voir Angela.
  - Elle est dans sa chambre, répondit Lucy. Je crois bien qu'elle a fermé la porte à clé.
  - Est-ce que tu veux bien aller lui demander de descendre ?
  - Tu es assez grand pour monter chercher ta fille tout seul, il me semble, dit Caitlin sans même le regarder. Lucy, tu devrais aller chercher tes gâteaux.
  La fillette hésita un instant à suivre ou non les instructions de son père, mais capitula finalement face au regard insistant que sa mère lui adressa. Jason la regarda prendre la direction de la cuisine avec un sourire attendri.
  - C'est fou ce qu'elle a changé, soupira-t-il. Je ne m'étais pas rendu compte qu'elle avait autant grandit.
  - Ce n'est pas étonnant, quand on ne s'intéresse pas à ses enfants, forcément on ne les voit pas grandir.
  - La chambre d'Angie se trouve à l'étage, j'imagine ? demanda Jason, feignant de ne rien avoir entendu.
  Caitlin répondit par un vague hochement de tête, puis elle fit signe à Monica et Rose de la suivre au salon, tandis que Jason grimpait les escaliers quatre à quatre.
  - Lucy ressemble énormément à Jason, fit remarquer Monica tout en prenant place sur le canapé.
  - Dieu merci, ce n'est pas le cas, rétorqua Caitlin.
  Elle était bien consciente de faire preuve d'une immaturité impressionnante, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se montrer désagréable. C'était plus fort qu'elle.
  - Est-ce que vous désirez boire quelque chose ? Un café, un jus de fruits…
  - Je prendrai volontiers un café.
  - Bien. Et toi, ajouta-t-elle en se penchant vers Rose et en s'efforçant d'adoucir un peu le ton de sa voix pour s'adresser à la petite fille, est-ce qu'un sirop de grenadine te ferait plaisir ?
  La fillette semblait particulièrement intimidée et répondit par un simple hochement de tête. Caitlin s'apprêtait à quitter la pièce, lorsque Monica l'interpella.
  - Vous savez Kate, dit-elle, je ne suis pas plus ravie que vous par cette situation. Je ne voulais pas venir, ce… c'était une idée de Jason, il a insisté…
  Caitlin se retourna lentement et dévisagea la jeune femme pendant quelques instants. D'une beauté discrète, elle n'était pas âgée de 30 ans et avait gardé les manières d'une adolescente peu sûre d'elle et habituée à ce qu'on lui dicte sa conduite. C'était une personne sans grande ambition, se contentant de son statut de femme au foyer. Jamais elle ne devait prendre une décision pour elle-même sans consulter son mari au préalable, et si Jason avait demandé qu'elle et Rose l'accompagne, il était peu probable qu'elle eut seulement tenté de s'y opposer. Pendant un instant, Caitlin ne put s'empêcher de ressentir de la pitié à son égard.
  - Il a toujours eu des idées saugrenues, répondit-elle après quelques secondes, s'efforçant d'esquisser un sourire qui manquait singulièrement de conviction.

*

  Les gâteaux de Lucy eurent un franc succès, et au bout d'une petite heure, tout le monde discutait avec entrain autour de la petite table du salon. Tout le monde sauf Angela, qui n'avait toujours pas daigné quitter sa chambre, et Caitlin qui s'efforçait de paraître le plus occupée possible afin d'éviter d'avoir à écouter les histoires ridicules que Monica et Jason racontaient en riant à une Lucy passionnée. Même Rose semblait beaucoup plus à l'aise, mangeant et riant avec les autres. La peinture que Lucy lui avait offerte l'avait en outre enchantée.
  - Je me souviens d'un dimanche où nous étions allés pique-niquer, tous les quatre, racontait Jason au moment où elle pénétrait dans le salon pour s'assurer que tout le monde avait encore à boire. Angie n'avait pas cinq ans, et toi on te promenait encore en poussette, tu ne devais pas avoir une année. Ça faisait des jours et des jours que ta mère essayait de te faire lâcher sa main pour que tu marches toute seule, mais il n'y avait rien à faire. Dès qu'on ne te tenait plus, tu te laissais retomber sur le derrière. Ce jour-là, il faisait un temps magnifique. Ta tante Gil était avec nous aussi. Nous nous étions installés au bord du ruisseau, et elle avait emporté ses aquarelles. Elle s'était installée un peu en retrait, au bord de l'eau. Je jouais à la balle avec Angie, et toi tu étais assise sur la couverture avec ta mère, vous faisiez des puzzles. Elle t'a quittée des yeux un instant pour voir ce qu'Angie et moi faisions, et quand elle a tourné à nouveau la tête vers toi, tu te tenais sur tes petites jambes et tu essayais de marcher en direction de la rivière. On a d'abord cru que c'était l'eau qui t'intéressait, mais en fait, c'était la peinture de Gillian ! Ce jour-là, j'ai dit à ta mère : "Je suis sûr que notre Lucy sera une artiste quand elle sera grande !" Tu t'en rappelles, Kate ?
  - Je ne me rappelle pas, mentit-elle en se détournant.
  - Tu ne te souviens pas de la première fois où j'ai marché ? s'étonna Lucy.
  - Je ne me rappelle pas que ton père m'ait dit ça.
  Un silence pesant s'abattit sur la pièce, et Caitlin préféra battre en retraite dans la cuisine. Elle avait de plus en plus de mal à garder son calme face à l'attitude provocatrice de Jason, et sentait la dispute arriver comme l'on peut prévoir un orage juste en levant les yeux au ciel. J'aurais dû m'opposer à cette visite, se reprocha-t-elle pour la énième fois, tout en sachant pertinemment qu'elle m'en aurait pas eu le droit. Tout du moins aurait-elle pu empêcher Monica et Rose de l'accompagner, mais cela aurait-il réellement changé quelque chose ? Elle en doutait… La jeune femme poussa un profond soupir. Jason avait toujours eu le don de lui compliquer la vie, et ce même près de neuf ans après qu'ils aient divorcé.
  Elle se trouvait toujours seule dans la cuisine lorsqu'on frappa à la porte. Instinctivement, Caitlin leva les yeux vers la pendule murale qui se trouvait accrochée au mur de la pièce, tout en se demandant qui pouvait bien leur rendre visite à cette heure.
  - J'espère que je ne te dérange pas, s'excusa Gillian lorsque sa sœur lui eut ouvert.
  Caitlin secoua légèrement la tête, mais sans grande conviction. Gillian ignorait que Jason était venu accompagné de sa famille, et elle préférait de loin qu'elle ne le sache pas.
  - Joe voulait amener ça pour Lucy, continua-t-elle en tendant à Caitlin un tas de feuilles volantes regroupées dans une fourre en plastique. C'est pour son exposé de littérature, ne me demande même pas où il a trouvé ça ! Katie, est-ce que tout va bien ?
  - Ca va, répondit Caitlin à voix basse.
  Il n'aurait plus manqué que Jason les entende discuter et décide de venir saluer Gillian.
  - Il a l'intention de rester longtemps ?
  - Je n'en sais rien, visiblement il a l'air de prendre ses aises… Je crois que si ça continue, il ne décollera plus de mon canapé…
  - Mets-le dehors tout de suite, c'est tout ce que je peux te conseiller. Ce type n'a plus rien à faire chez toi. Allez, je vais te laisser. Il vaut sans doute mieux que je ne le vois pas, je n'ai pas envie de risquer de provoquer une catastrophe écologique.
  Caitlin hocha la tête en silence, incapable de réprimer le sourire qui lui vint aux lèvres. Elle s'apprêtait à refermer la porte derrière sa sœur lorsqu'elle entendit des pas étouffés dans escaliers. Elle se retourna et aperçut Angela, qui descendait sur la pointe des pieds.
  - J'ai vu tante Gil arriver par la fenêtre, dit-elle à voix basse afin que son père ne l'entende pas. S'il te plaît maman, laisse-moi aller avec elle…
  - Angie, tu sais ce que ton père va dire si je te laisse aller chez Gil ? D'ailleurs, puisque tu es descendue, tu pourrais aussi bien faire l'effort d'aller au moins dire bonjour…
  - C'est hors de question ! Si tu ne me laisses pas aller avec tante Gil, de toute façon je resterai enfermée dans ma chambre jusqu'à ce qu'il soit parti ! Franchement, qu'est-ce que ça change que je sois au café avec Joe et Gil ou là-haut toute seule ? De toute façon, je ne veux pas le voir !
  Caitlin fixa un instant sa fille, et finit par capituler face à l'air déterminé qu'elle affichait. Dans d'autres circonstances, elle aurait su faire preuve de davantage d'autorité, mais elle comprenait très bien ce que pouvait ressentir Angela. Elle-même aurait donné à peu près n'importe quoi pour pouvoir quitter sa maison jusqu'à ce que Jason s'en aille.
  - Vas-y, répondit-elle avec un léger hochement de tête.
  Angela la gratifia d'un large sourire, puis enfila rapidement sa veste et partit en courant rejoindre sa tante et le petit ami de celle-ci. Caitlin referma discrètement la porte et tourna la tête dans la direction du salon ; Jason s'était lancé dans la narration d'une nouvelle anecdote que son auditoire paraissait trouver hilarante, et aucun d'eux ne semblait avoir remarqué le départ d'Angela. Rassurée, la jeune femme reprit la direction de la cuisine, déposa des verres, une carafe de jus d'orange et une petite corbeille que Lucy avait garnie de biscuits sur un plateau, et retourna au salon.
  - Kate, j'étais justement en train de raconter à Lucy la fois où nous sommes allés faire du camping dans le Dakota. Tu te rappelles cette vieille femme qui prétendait pouvoir deviner le caractère des gens juste en regardant la paume de leur main ?
  - Comment l'oublier, rétorqua Caitlin avec un sourire sarcastique. Si je me souviens bien elle avait lu dans la tienne que tu étais un menteur, un hypocrite et surtout une personne a qui on ne peut pas faire confiance. A l'époque je m'étais dit que cette femme était une charlatane, mais en y repensant… Elle n'était tout compte fait pas si loin de la vérité.
  Pour la première fois de la soirée, Jason sembla prendre conscience d'une des remarques de son ex-femme. Il la fusilla littéralement du regard, tandis qu'un silence gêné s'abattait à nouveau sur les personnes se trouvant dans la pièce. Mais cette fois-ci, Caitlin ne ressentit nul besoin de s'en échapper. Ne venait-elle pas de réussir à le remettre à sa place ? Au contraire, elle sourit de plus belle et déposa le plateau qu'elle tenait toujours sur la table.
  - Est-ce que quelqu'un veut du jus d'orange ?
  - Nous n'allons plus tarder à rentrer, répliqua Jason d'un ton tranchant. J'aimerais beaucoup voir Angie avant de repartir, je suppose qu'elle n'a pas bougé de sa chambre ?
Sans attendre de réponse, il se leva et se dirigea vers les escaliers sous le regard amusé de Caitlin.
  - Ca ne sert à rien que tu montes, dit-elle alors qu'il avait déjà posé le pied sur la première marche. Même si elle était dans sa chambre, elle ne t'ouvrirait de toute façon pas.
Jason s'immobilisa, et sans faire le moindre autre geste, tourna la tête vers elle.
  - Est-ce que tu veux dire qu'elle n'est pas là-haut ?
  Caitlin secoua légèrement la tête.
  - Elle est partie à l'instant avec Gil.
  Cette fois-ci, la bonne humeur que Jason avait feinte depuis son arrivée se dissipa totalement. Il revint lentement sur ses pas. 
  - Monica, est-ce que tu veux bien aller m'attendre dans la voiture avec Rose ? Je n'en aurai pas pour très long.
  La jeune femme acquiesça d'un rapide hochement de tête, prit son enfant par la main et quitta la pièce, escortée par Lucy qui ne tenait pas vraiment à voir ses parents se disputer. Une fois qu'ils furent seuls, Jason se tourna vers Caitlin. Son teint avait viré au pourpre, et ses yeux flamboyaient de colère.
  - Qu'Angie s'enferme dans sa chambre, c'est une chose, articula-t-il, prenant soin de bien séparer chaque syllabe afin de donner un ton dramatique à son discours. Mais je ne tolère pas que tu la laisses partir avec ta sœur, sans même m'avoir laissé la voir !
  - Et moi je ne tolère pas que tu débarque comme ça chez moi, avec toute ta clique ! Est-ce que ça t'empêche de le faire ?
  - J'ai le droit de voir mes filles, et tu ne peux pas m'en empêcher !
  - Et bien parlons-en, de tes filles ! Lucy t'a envoyé des cartes d'invitations pour chacun de ses anniversaires depuis que tu ne vis plus ici, est-ce que tu es venu ne serait-ce qu'une seule fois ? J'en ai assez de lui répéter encore et encore que non, son père ne l'a pas oubliée et que oui, il l'aime toujours comme avant alors que je ne sais même pas s'il s'agit de la vérité ! Tu crois que tu peux débarquer comme ça, juste parce que ça te fait plaisir, alors que nous savons tous deux que tu ne donneras probablement plus de nouvelles pendant des mois ? Cette visite a la valeur d'une promesse aux yeux de Lucy, la promesse que tu vas enfin reprendre ta place dans sa vie ! C'est pour toi qu'elle a passé deux jours dans la cuisine, pour toi qu'elle a fait cette peinture pour ta fille, parce qu'elle croit qu'il lui faut gagner ton amour ! Mais ce sera à moi de la consoler lorsque nous n'entendrons à nouveau plus parler de toi !
  - La question n'est pas là, Kate ! Je reconnais que j'ai eu tord de ne pas m'occuper d'elles davantage depuis toutes ces années, mais figure-toi que j'ai bien l'intention de rattraper tout le temps que nous n'avons pas passé ensemble, les filles et moi !
  - Bien sûr, et tu imagines peut-être que je vais encore croire à tes mensonges ?
  - Libre à toi de me croire ou non, mais ça n'en est pas moins ce que je compte faire ! D'ailleurs, je pourrais bien commencer par demander une audience au juge, histoire de lui expliquer comment tu m'as empêché de voir ma fille… Il se pourrait bien qu'il revoie sa décision de te laisser leur garde !
  Caitlin eut l'impression qu'on lui déchirait les entrailles à l'aide d'un couteau. Elle ne supportait pas l'idée qu'on puisse lui enlever ses enfants.
  - Tu n'as pas le droit de faire ça… balbutia-t-elle.
  - Oh si j'en ai le droit ! D'ailleurs, je suis persuadé que les filles seraient bien mieux dans une famille unie qu'auprès d'une mère psychotique incapable de refaire sa vie !
  Si elle n'avait pas été dotée d'un minimum de self-control, Caitlin se serait probablement jetée sur lui pour lui arracher les yeux. Comment osait-il menacer de lui prendre Angela et Lucy, et ensuite insinuer qu'il avait davantage à leur offrir qu'elle, alors qu'elle leur avait entièrement consacré les dernières années de sa vie ?
  - Sors d'ici, souffla-t-elle, tentant de maîtriser la rage qu'elle sentait monter en elle, s'intensifiant de seconde en seconde. Sors d'ici avant que je n'aie à te mettre dehors…
  - Je n'avais de toute manière pas l'intention de rester plus longtemps ici, cracha Jason avec un rictus de dégoût, comme s'il s'était trouvé dans l'endroit le plus immonde qu'on puisse imaginer. Mais cette fois-ci, je te promets qu'il ne se passera pas beaucoup de temps avant que je vous redonne de mes nouvelles !
  Jason tourna les talons avant même que Caitlin n'eut le temps de répliquer quoi que ce soit, et quitta la maison en claquant violemment la porte. La jeune femme demeura plusieurs instants comme paralysée, totalement sous le choc et incapable d'effectuer le moindre mouvement. Un silence de mort régnait à présent dans la petite demeure. Lorsqu'elle parvint à nouveau à bouger, elle prit lentement la direction de la cuisine et se laissa lourdement tomber sur une chaise. Jamais aucun juge ne lui accordera la garde des filles, tenta-t-elle de se rassurer, se répétant les mots que Gillian lui avait dits au téléphone la veille. Il ne s'en est jamais occupé en huit ans, alors que tu as passé toutes ses années à les élever seule et à tout sacrifier pour elles… Jamais, jamais… Mais malgré tout, les paroles de Jason continuaient de se répercuter inlassablement dans son esprit. Il lui semblait que ses pires craintes s'apprêtaient à prendre vie sous ses yeux, sans qu'elle ne puisse rien faire pour l'empêcher. Elle sentit une larme rouler sur sa joue, puis une deuxième… et bientôt tout son visage fut inondé de pleurs. Ca suffit, s'ordonna-t-elle. Ce n'est pas le moment de te laisser aller ! Elle essuya ses larmes du revers de la main et se redressa, comme en prise à un soudain relent d'énergie. Il était hors de question qu'elle laissa Jason la détruire, pas à nouveau. Cette fois-ci, elle saurait se battre. Et si ce n'était pas pour elle-même, ce serait pour ses filles.

  Caitlin poussa un soupir de contentement lorsque l'eau brûlante du bain l'immergea, picotant agréablement sa peau. Elle n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il pouvait être. Peu après le départ de Jason, elle avait appelé Gillian qui était immédiatement passé chercher Lucy. Caitlin avait alors besoin d'être seule et de réfléchir. Dès le lendemain, elle téléphonerait au juge qui avait réglé les détails de leur divorce afin de se renseigner sur les droits de Jason. Après réflexion, elle en était arrivée à la déduction qu'il était peu probable que son ex-mari représente une réelle menace, mais elle préférait en avoir la confirmation d'un homme ayant l'habitude de ce genre de cas.
  Caitlin ferma les yeux et s'enfonça davantage dans l'eau. Elle avait fermé le store de la salle de bains, de manière à ce que juste la faible lumière de la lune qui se glissait à travers les lamelles éclaire la pièce. Un silence inhabituel régnait dans la maison, et si elle n'y avait pas pris garde, elle aurait certainement fini par s'endormir. Sa dispute avec Jason l'avait épuisée, et à présent que le stress commençait à s'évacuer, elle avait l'impression de pouvoir sentir la fatigue qui s'abattait sur elle avec plus de force à chaque minute qui passait. Rien n'était censé venir troubler le calme parfait de cet instant, jusqu'à ce que le téléphone ne se mette à sonner. Caitlin ouvrit les yeux et poussa un profond soupir. Pendant un instant, elle pensa aller répondre, puis décida que si c'était important, la personne qui tentait de la joindre, qui qu'elle soit, pourrait toujours réessayer plus tard. Cependant, la sonnerie se faisait toujours plus insistante et ne semblait pas vouloir s'arrêter. De plus, la jeune femme prit soudainement conscience qu'il devait être relativement tard et que personne ne chercherait à l'atteindre si ce n'était pas important. A contrecœur, elle se releva, sortit de la baignoire, enfila un peignoir et se hâta le long du couloir, ses pieds nus formant de petites flaques d'eau sur le carrelage froid.
  - Allô ? demanda-t-elle sans prendre la peine de s'annoncer.
  - Mme Pryce ? répondit une voix qu'elle ne connaissait pas.
  - C'est moi.
  - Madame, je suis le docteur Williamson, de l'hôpital général, continua la femme à l'autre bout du fil.
  Caitlin sentit son cœur manquer un battement. Faîtes qu'il ne soit rien arriver aux filles ou à Gil, pria-t-elle muettement.
  - Je suis désolée de vous déranger à cette heure, continua l'autre, mais j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre ex-mari, Jason Pryce, a été victime d'un grave accident de voiture. Nous aurions besoin que vous veniez au plus vite.
  Pendant quelques secondes, Caitlin fut incapable de répondre. Son esprit était partagé entre le soulagement qu'il ne s'agisse pas de l'une de ses enfants, et un sentiment de culpabilité qui lui remuait les entrailles ; Jason était parti de chez elle dans un état d'énervement on ne peut plus sérieux et elle ne pouvait s'empêcher de se sentir responsable de ce qu'il s'était passé.
  - Mme Pryce ?
  - Je suis là…
  - Je conçois que vous puissiez avoir d'autres obligations, mais…
  - J'arrive, la coupa Caitlin. Donnez-moi un quart d'heure.
  - Merci, répondit le médecin, visiblement soulagée, avant de raccrocher.
  Lorsqu'elle reposa à son tour le combiné sur son support, Caitlin eut besoin d'un instant pour reprendre ses esprits. Elle avait l'impression que la réalité la dépassait totalement… Quelques minutes auparavant, elle réfléchissait à la meilleure manière de s'assurer que plus jamais Jason ne ferait la moindre incursion dans sa vie, et à présent elle ne savait même pas s'il était encore vivant… C'est alors qu'elle se souvint de son rêve, celui qu'elle n'avait cessé de faire la nuit précédente. Elle n'avait alors jamais vu Rose, et pourtant plus elle y repensait, plus elle était persuadée que l'enfant qu'elle renversait dans son cauchemar n'était autre que la fille de Jason… Elle ignorait ce que cela pouvait bien vouloir dire, mais elle espérait de tout son cœur que la petite fille n'avait pas été gravement blessée. Au bout de quelques secondes, Caitlin revint finalement sur ses pas jusqu'à la salle de bains, retira son peignoir et enfila le vieux jean et le pull-over dont elle s'était débarrassée quelques minutes plus tôt. Elle agissait avec lenteur, sans vraiment être consciente de ce qu'elle faisait. Lorsqu'elle fut habillée, elle quitta la petite maison sans même prendre la peine de s'assurer qu'elle avait fermé à clé, et quelques instants plus tard elle s'engageait sur la route qui menait à l'hôpital. Dehors, la pluie avait recommencé à tomber avec plus de force encore que la veille, et Caitlin réalisa qu'il n'était pas tellement étonnant que Jason ait eu un accident en roulant par ce temps dans l'état dans lequel il se trouvait lorsqu'il était parti de chez elle.
  En raison des mauvaises conditions météorologique, le trajet jusqu'à l'hôpital demanda à Caitlin davantage de temps qu'elle ne l'avait estimé, et près d'une demi-heure s'était écoulée lorsqu'elle se trouva devant l'imposante façade du San Francisco General Hospital, gigantesque bâtiment dont les tours grises surplombaient toute la rue. La jeune femme le contourna rapidement et s'engouffra directement par l'entrée des urgences avant de prendre la direction de l'accueil. Une réceptionniste à l'allure sévère lui recommanda de prendre place dans la salle d'attente où un médecin viendrait la voir le plus rapidement possible. Caitlin s'exécuta, mais n'eut pas à attendre bien longtemps. Au bout de quelques minutes à peine, elle vit une petite femme blonde d'une trentaine d'années se diriger vers elle.
  - Mme Pryce ?
  Caitlin répondit d'un hochement de tête.
  - Je suis le docteur Williamson, fit son interlocutrice en lui tendant la main. Nous nous sommes parlées tout à l'heure au téléphone.
  Caitlin hocha à nouveau la tête, incapable d'articuler le moindre mot.
  - Je vous remercie d'être venue si rapidement, j'imagine bien que la situation ne doit pas être évidente…
  - Comment vont-ils ? coupa Caitlin, la gorge sèche.
  - Et bien, Monica est toujours en réanimation. Ses blessures sont sévères, mais il reste une chance qu'elle s'en sorte. En revanche, nous n'avons rien pu faire pour votre ex-mari. Son cœur ne battait déjà plus lorsqu'il est arrivé aux urgences, et tous nos efforts n'ont servis à rien. Je suis désolée… Dans ce genre de cas, nous contactons en premier les parents, mais lorsque nous avons posé la question à l'épouse de votre ex-mari, c'est votre nom qu'elle a donné…
  - Je comprends… répondit Caitlin, incapable d'assimiler complètement les paroles de la doctoresse. J'ignore tout des parents de Monica, mais je vais appeler ceux de Jason sur-le-champ…
  Certes, elle détestait Jason probablement davantage que n'importe qui d'autre sur terre, mais une part d'elle-même avait toujours continué de l'aimer, comme le premier amour de sa vie. Et aujourd'hui, il était mort.
  - Et Rose ? demanda-t-elle subitement, se souvenant de la fillette.
  - Rose ?
  - Leur petite fille, elle a huit ans…
  - Il n'y avait pas de petite fille dans le véhicule, les seuls passagers…
  - Elle était forcément avec eux, soupira Caitlin. Ils sont partis ensemble de chez moi il y a peut-être une heure et demi de ça…
  - S'il y avait eu une troisième victime, on nous l'aurait forcément amenée. Je vais m'assurer qu'elle n'a pas été transportée dans un autre hôpital, mais j'en doute.
  Caitlin eut un petit soupir de soulagement. Avec un peu de chance, cette pauvre petite aurait au moins été épargnée.
  - Je vais vous laisser téléphoner, reprit le docteur Williamson. Je vous tiendrai au courant de l'évolution de l'état de Monica.
  Caitlin hocha la tête puis la doctoresse lui adressa un petit sourire avant de se relever et de tourner les talons. Pendant quelques minutes, la jeune femme demeura assise, incapable de bouger. Tout semblait arriver si rapidement… Elle se leva finalement, un peu comme un automate. Un téléphone se trouvait dans un coin de la salle d'attente, et elle n'eut même pas besoin de consulter l'annuaire pour composer le numéro de ses beaux-parents. Elle dut attendre un certain temps avant que qu'on ne décroche, et ce fut avec une voix ensommeillée que Catherine Pryce s'annonça. Caitlin réalisa qu'elle l'avait probablement réveillée.
  - Catherine, c'est moi, Kate…
  - Kate ? Ma petite fille, tu as l'air complètement bouleversée…
  - Je suis à l'hôpital, Catherine… Je sais qu'il doit être très tard mais il… il faut que vous veniez le plus vite possible, Henry et vous… Jason… Jason a eu… un accident…
  - Un accident ? Seigneur Kate, tu n'as rien j'espère ?
  - Ce n'est pas moi Catherine… C'est Jason, il… Oh seigneur, je ne peux pas vous dire ça au téléphone, je vous en prie, dépêchez-vous…
  - Il n'est pas…
  - Je suis désolée… murmura Caitlin.
  Il y eut un long silence au bout du fil que Caitlin n'osa pas troubler. De toute façon, elle n'aurait pas su quoi dire. Jamais elle n'aurait imaginé qu'elle devrait un jour annoncer aux Pryce la mort de leur fils.
  - Nous arrivons tout de suite, reprit finalement Catherine d'une voix éteinte. Nous arrivons tout de suite…

*

  Caitlin avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée entre le moment où elle avait raccroché le téléphone et celui où elle distingua les silhouettes de Catherine et Henry Pryce à l'entrée de la salle d'attente des urgences. Agés tous deux d'une soixantaine d'années, ils paraissaient d'ordinaire bien moins que leur âge. Catherine avait conservé une ligne svelte de jeune femme, sans doute grâce à la natation qu'elle pratiquait toujours assidûment, et le temps semblait ne pas avoir d'emprise sur les traits délicats de son visage. Quant à Henry, il semblait n'avoir jamais perdu cet air d'éternel enfant dont son fils avait hérité et qui avait dû faire de lui un véritable séducteur dans ses jeunes années. Cependant, lorsqu'ils s'approchèrent de Caitlin ce soir-là, les traits tirés et le regard humide, il lui sembla qu'ils avaient vieilli de dix ans en une seule nuit. Les deux femmes s'étreignirent longuement, puis le couple prit place à côté de leur belle-fille.
  - Je suis désolée, répéta Caitlin en adressant un regard navré à Catherine.
  - Allons, tu n'y es pour rien, répondit la vieille femme en lui prenant doucement la main. Comment vont Monica et notre petite princesse ?
  - Monica est aux soins intensifs, son état s'est stabilisé mais elle n'est pas encore sauvée… Quant à Rose… on ignore où elle se trouve… Elle était avec ses parents lorsqu'ils sont partis de chez moi, mais il semble qu'elle ne se trouvait plus dans le véhicule… Ils ont appelé les autres hôpitaux de la ville, mais elle n'a été transportée nulle part…
  - Jason l'aura probablement laissée chez des amis à eux, murmura Henry d'une voix faible. Je crois que Monica a une sœur en ville… Il faudra essayer de la contacter…
  - Je m'en occuperai.
  Henry hocha la tête, puis un silence pesant s'abattit sur eux. Caitlin baissa nerveusement les yeux, incapable de réfréner le sentiment de malaise qu'elle sentait naître en elle. Elle savait que Jason et ses parents étaient fâchés depuis de longues années, suite à une dispute qui avait éclatée au moment du divorce. Dès qu'elle était entrée dans leur famille, les Pryce s'étaient immédiatement beaucoup attachés à Caitlin. Jason était leur seul enfant, et ils n'avaient pas tardé à la considérer comme la fille qu'ils auraient tant souhaité mais qu'ils n'avaient pas eue. Si bien qu'ils avaient longtemps reproché à leur fils de l'avoir quittée.
  - Mme Pryce ?
  Caitlin et Catherine relevèrent toutes deux la tête au même instant, mais comprirent rapidement que c'était à la première que s'adressait le docteur Williamson.
  - Monica vient de se réveiller, elle demande à vous voir.
  Caitlin fut incapable de dissimuler sa surprise. Elle tourna vers sa belle-mère un regard étonné, puis se leva et suivit le médecin jusqu'à l'unité des soins intensifs où Monica avait été transférée un peu plus tôt. On lui fit enfiler une blouse stérile par-dessus ses vêtements, et on recouvrit son visage d'un masque de protection avant de la laisser pénétrer dans une vaste pièce à l'intérieure de laquelle se trouvaient plusieurs malades, la plupart reliés à d'innombrables machines dont Caitlin n'aurait su déterminer l'utilité. Monica se trouvait sur un lit au fond de la salle. Un moniteur cardiaque marquait chaque battement de son cœur, et une perfusion était attachée à son bras. Un médecin entièrement vêtu de vert était occupé à extraire un tube de sa gorge au moment où Caitlin s'avança vers elle. Lorsqu'il eut terminé, le médecin se tourna vers elle et lui adressa un petit signe de la tête, indiquant qu'elle pouvait s'approcher. Elle eut un choc en apercevant la jeune femme ; aussi pâle qu'une morte, ses longs cheveux noirs répandus sur l'oreiller autour de son visage, elle n'avait plus rien de la femme séduisante qui se trouvait dans son salon quelques heures plus tôt. Même le faible sourire qu'elle esquissa lorsque Caitlin prit place sur une chaise à côté de son lit ne parvint pas à redonner vie à son visage.
  - Rose… murmura-t-elle d'une voix rauque et mal assurée.
  - Où est-elle, Monica ?
  - Ma sœur… elle habite… sur Crescent Avenue… on l'a laissée là-bas… il était tard… elle était fa… fatiguée…
  - J'irai la chercher le plus rapidement possible… En attendant vous devez vous reposer et reprendre vos forces…
  - Jason… il est… n'est-ce pas ?
  Caitlin hocha lentement la tête, mais à sa plus grande stupéfaction, Monica ne parut ni triste, ni même surprise. On aurait presque dit qu'elle le savait déjà.
  - J'aimerais… vous demander… quelque chose, Kate…
  - Je vous écoute.
  - Rose… s'il vous plaît… prenez soin d'elle… je… je veux qu'elle soit… heureuse…
  - Ne dîtes pas de bêtises, répliqua Caitlin, un peu trop rapidement. Dans quelques jours vous serez sortie de là et vous retrouverez votre fille…
  - Je sais… je sais que non… murmura Monica en secouant faiblement la tête. Jason… il m'attend… s'il vous plait, prenez soin de Rose…
  - C'est de vous dont elle a besoin ! Vous devez être forte et… et tenir le coup !
  Caitlin sentit ses yeux se remplir de larmes malgré elle.
  - Trop… trop tard… je vous en prie… Kate… je… je ne veux pas qu'elle aille… dans un foyer… je veux… heureuse… une vie… heureuse…
  Monica ferma les yeux. Elle semblait à bout de force.
  - S'il vous plait… promettez-moi qu'elle sera… heureuse…
  - Je vous le promets… articula finalement Caitlin tout en s'efforçant de retenir ses larmes du mieux qu'elle pouvait. Je vous le promets…
  Monica hocha faiblement la tête, et Caitlin put voir un faible sourire se dessiner sur son visage fatigué. Au même moment, une infirmière s'approcha d'elles et demanda à Caitlin de sortir, expliquant que Monica avait besoin de repos. La jeune femme s'exécuta, mais au moment où elle se relevait, elle sentit la main de Monica effleurer la sienne.
  - Merci… murmura-t-elle d'une voix à peine audible. Merci…
  Le regard de Caitlin s'attarda encore quelques secondes sur cette femme qu'elle avait tellement détestée et pour qui elle éprouvait, à présent, une pitié infinie. Puis elle suivit l'infirmière qui l'entraîna hors de la pièce. Elle retira la blouse et le masque qu'on lui avait donnés, puis rejoignit le couloir. Elle se sentait totalement épuisée. Elle rejoignit Catherine et Henry, et, environ un quart d'heure plus tard, on vint leur annoncer que Monica venait de décéder.

*

  L'enterrement eut lieu trois jours plus tard, par un temps ironiquement radieux. De nombreux amis de Jason et Monica avaient fait le trajet jusqu'à San Francisco pour assister aux funérailles, mais étrangement, les parents de Monica ne se trouvaient pas là. Assise au premier rang, entourée de ses deux demi-sœurs et de ses grands-parents paternels, la petite Rose ne semblait pas vraiment consciente de ce qu'il s'était passé. Lorsque sa tante l'avait conduite à l'hôpital après avoir été prévenue par Caitlin, la fillette n'avait pas versé une seule larme, ni prononcé un seul mot. D'après la sœur de Monica, elle n'avait pas quitté cet état apathique depuis. Caitlin se tenait un peu en retrait, sa main étroitement serrée dans celle de Gillian, et n'écoutait le sermon du prêtre que d'une oreille. Incapable de détacher son regard de Rose, elle ne cessait de repenser aux dernières paroles de Monica. Une part d'elle-même souhaitait réellement pouvoir rendre son sourire à cette pauvre petite fille, mais une autre, beaucoup plus réaliste, lui rappelait qu'elle ne connaissait rien d'elle, et qu'elle serait probablement bien plus heureuse auprès de sa tante. Il n'avait pour l'instant pas encore été question de droits de garde, et Caitlin avait décider de ne pas intervenir à moins qu'on ne s'adresse directement à elle. Elle n'avait après tout aucun lien de parenté avec Rose, et si la tante manifestait le désir de recueillir sa nièce, aucune promesse qu'elle aurait pu faire à Monica avant sa mort n'aurait la moindre valeur légale.
  La cérémonie terminée, la famille et les proches amis se réunirent chez les Pryce, mais Caitlin jugea préférable de rentrer directement chez elle avec les filles. Aucune d'elles ne prononça la moindre parole durant tout le temps du trajet. Lucy tentait en vain d'essuyer les larmes qui ruisselaient sur ses joues tandis qu'Angela, le regard perdu par la fenêtre, feignait de contempler le paysage qui défilait au dehors. Même si elle n'en montrait rien et qu'elle s'efforçait d'agir comme si la mort de son père ne la touchait pas, Caitlin savait très bien qu'il n'en était rien et qu'elle se sentait probablement beaucoup plus affectée qu'elle ne voulait le laisser paraître.
  Les jours suivants s'écoulèrent dans un climat tendu. Les disputes éclataient de plus en plus souvent entre Lucy et Angela, la première reprochant à son aînée de se montrer totalement insensible, tandis que la seconde disait trouver parfaitement ridicules les pleurnicheries de sa cadette, jugeant qu'il était grotesque de pleurer la disparition d'une personne qu'on ne voyait de toute manière pour ainsi dire jamais. Quant à Rose, Caitlin n'entendit plus parler d'elle pendant quelques jours, jusqu'à ce qu'une assistante sociale ne vienne frapper à sa porte.
  C'était un dimanche, une semaine après l'accident. Caitlin était occupée à faire répéter Lucy pour une pièce de théâtre qu'elle préparait avec sa classe lorsque la sonnerie de l'entrée retentit. La fillette se leva d'un bond pour aller ouvrir, bien contente d'avoir droit à une pause dans l'apprentissage laborieux de son texte.
  - C'est pour toi, maman, annonça-t-elle en revenant dans la cuisine. C'est une dame que je ne connais pas…
  Caitlin se leva à son tour. Une jeune femme d'environ vingt-cinq ans qu'elle n'avait jamais vue se tenait dans l'entrée.
  - Caitlin Pryce ? demanda l'inconnue avec un sourire chaleureux.
  Caitlin hocha la tête et serra la main que la femme lui tendait.
  - Je m'appelle Megan Clarkson, je suis désolée de vous déranger un dimanche, mais je n'avais malheureusement pas le choix. Je suis assistante sociale, ajouta-t-elle. C'est moi qui m'occupe du placement de la petite Rose Pryce. Ne vous inquiétez pas, je n'en aurai pas pour long.
  Caitlin l'invita à entrer, et les deux femmes prirent place dans le salon.
  - Votre visite me surprend, avoua Caitlin lorsqu'elles furent installées et que l'assistante sociale lui eut expliqué la raison de sa venue. Je pensais que Rose vivait chez sa tante.
  - C'est exact, mais il s'agit d'une situation provisoire. Le fait est que mademoiselle Stevens ne dispose pas d'un emploi et d'un domicile fixe ici. Elle est comédienne et par conséquent elle se déplace énormément. Elle a parfaitement compris lorsque nous lui avons expliqué qu'après ce qu'elle vient de vivre, Rose a besoin de stabilité.
  - Vous avez contacté ses grands-parents ?
  Megan Clarkson acquiesça d'un hochement de tête.
  - Les Pryce auraient adoré s'occuper de leur petite fille, mais ils sont trop âgés, et encore bouleversés par la disparition de leur fils. Il n'est pas question, du moins pour l'instant, de leur donner la charge d'un enfant. Quant aux Stevens, ils résident en France et m'ont très clairement fait comprendre qu'ils ne souhaitaient pas s'occuper de Rose. En définitive, vous être la seule parente qui lui reste.
  - Ecoutez, j'élève seule mes deux filles, et sans la pension que me versait mon ex-mari…
  - Il va de soi que vous recevrez une allocation des services sociaux. Je ne veux surtout pas que vous ayez le sentiment que je vous force la main, madame. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que vous me donniez une réponse tout de suite. La tante de Rose compte rester à San Francisco encore au moins deux semaines, ce qui vous laisse le temps de réfléchir.
  - Où ira la petite si je refuse de l'accueillir ?
  - Nos services la placeront dans un foyer en attendant de lui trouver une autre famille d'accueil.
  Caitlin baissa les yeux. Elle avait entendu parler de ses enfants qui naviguent d'une famille à l'autre sans jamais trouver de personnes aimantes ayant réellement le désir de prendre soin d'eux. 
  - J'y réfléchirai, promit-elle.
  L'assistante sociale la gratifia d'un hochement de tête reconnaissant.
  - Il y a bien sûr quelques formalités d'ordre juridique dont vous devrez être informée en temps et lieu, mais il n'est pas nécessaire que je vous en parle maintenant. Discutez-en avec votre famille, et recontactez-moi lorsque vous aurez pris votre décision. Voici ma carte, ajouta-t-elle en tendant à Caitlin un rectangle de carton.
  La jeune femme s'en saisit et hocha la tête.

*

  - Il n'en est pas question ! s'exclama Angela en se levant brusquement du fauteuil dans lequel elle était assise. Je te préviens, si cette gamine vient passer ne serait-ce qu'une nuit ici, je fugue !
  Tous les regards se tournèrent vers elle. Caitlin avait préféré ne pas attendre pour parler à ses filles de la visite de l'assistante sociale, et avait profité de la présence de Gillian et Joe pour le faire le soir-même.
  - Angie, s'il te plaît calme-toi !
  - Je me calmerai si j'en ai envie ! Non mais tu réalises un peu ce que tu viens de dire ? En quoi ça nous concerne que cette gosse aille vivre chez sa tante ou dans un foyer à Tombouctou ?
  - Ca nous concerne parce que, excuse-moi de te le rappeler, cette "gosse" est ta petite sœur, et qu'elle n'a aucun autre endroit où aller vivre…
  - Mais je m'en fiche ! Bon sang, j'arrive pas à y croire ! Après ce que papa a fait, tu nous demande d'accepter sa fille dans notre maison ! Alors qu'il n'a jamais voulu de nous dans la sienne !
  - Tu n'as pas le droit de parler comme ça ! s'écria alors Lucy, qui était jusque là demeurée silencieuse. Si c'était maman qui était morte, tu serais bien contente que des gens gentils veuillent bien de toi, plutôt que d'être envoyée dans un orphelinat où n'intéresserais absolument personne !
  - Ce qui est sûr, c'est que j'aurais encore préféré ça à aller vivre chez papa, avec son affreuse femme et leur idiote de fille !
  - Tu n'es même pas descendue l'autre jour ! Rose est très gentille, ce n'est pas sa faute si papa est tombé amoureux de sa maman !
  - Peut-être, mais si papa n'était pas parti, elle ne serait même pas née !
  - Ca suffit toutes les deux ! Je ne vous ai pas parlé de ça pour que vous vous disputiez une fois de plus !
  - De toute façon, je ne vois pas pourquoi tu prends la peine de nous demander notre avis, puisque tu t'en fiche ! Vas-y, adopte-là ta pauvre petite orpheline, mais n'attends surtout pas de moi que je me montre gentille avec elle !
Sans laisser à qui que ce soit le temps de réagir, Angela tourna les talons et se précipita vers les escaliers.
  - Angela, reviens ici immédiatement !
  Mais l'adolescente ne prêta pas la moindre attention à l'ordre de sa mère. Quelques secondes plus tard, la porte de sa chambre claqua avec une telle force que la maison toute entière en trembla. Caitlin se redressa d'un bond s'apprêtait à la suivre, mais elle fut retenue par Joe.
  - Laisse-la, lui dit-il en posant une main sur son bras. A mon avis, tu as meilleur temps d'attendre qu'elle se soit un peu calmée… De toute façon, pour l'instant elle ne voudrait pas t'écouter…
  Caitlin baissa les yeux vers l'ami de sa sœur et, réalisant qu'il avait raison, se laissa retomber sur le canapé. Gillian, qui était assise à côté d'elle, prit affectueusement sa main dans la sienne.
  - Elle va venir habiter chez nous alors ? demanda Lucy au bout que quelques instants.
  - Je ne sais pas, ma puce. Ce n'est pas une décision qu'on prend en une journée…
  - Moi j'espère que oui. Ce serait pas juste que Rose doive aller vivre dans un foyer alors qu'elle pourrait être heureuse ici, avec nous.
  Sans rien ajouter, Lucy se leva à son tour et prit la direction de sa chambre, mettant ainsi un terme à la discussion.
  - Je suis contente que Lucy le prenne mieux qu'Angie, soupira Caitlin.
  - Tu envisages sérieusement d'adopter cette petite ? questionna alors Gillian, qui n'était jusque là pas intervenue dans la conversation. Je veux dire, avant que tu fasses quoi que ce soit, j'espère que tu es bien consciente de ce que ça implique…
  Caitlin en était bien consciente. Recueillir Rose voulait dire accepter d'avoir quotidiennement sous les yeux une enfant donc l'existence résultait de la tromperie de son mari.
  - Il y a encore quelques jours, j'avais vraiment envie de la détester, tout autant que ses parents… Seulement, quand j'ai vu Monica, sur ce lit d'hôpital… elle savait qu'elle allait mourir, Gil, elle en était persuadée. Et tout ce qui lui importait à cet instant, c'était de s'assurer que sa petite fille ne serait pas malheureuse… Alors je lui ai promis que j'y veillerais… Vous croyez que j'ai eu tort ? Qu'Angie a raison, et que tout ça ne nous concerne pas ?
  Gillian et Joe échangèrent un regard gêné. Ayant passé une partie de son enfance dans des foyers d'accueil, ce dernier ne pouvait que témoigner de l'importance d'une famille aimante dans la vie d'un enfant.
  - Ce qui est important, c'est que tu fasses ce qui te semble juste, dit-il au bout de quelques secondes. Et surtout que tu sois bien consciente du fait que c'est à toi que reviens cette décision. Bien sûr, il est important que tu en parles avec les filles, mais des enfants de leur âge n'ont pas encore la maturité nécessaire pour avoir un jugement objectif. Angie est en colère, l'idée d'accueillir Rose sous son toit la met en rage, mais c'est compréhensible. Si tu décides de l'adopter, il faudra bien qu'elle l'accepte et qu'elle fasse avec…
  - D'un autre côté, intervint Gillian, il n'est pas juste d'infliger ça aux filles si elles ne sont pas d'accord. Ca représenterait un changement énorme dans leur vie, après tout ce qu'elles ont déjà vécu…
  - C'est tout de même de l'avenir d'une petite fille de huit ans dont on parle, lui rappela Joe. Une petite fille qui a le droit de bénéficier des meilleures conditions de vie possible.
  - De toute manière, ce n'est pas à nous de te dire ce que tu dois faire, ni d'essayer de t'influencer… Quoi que tu décides, je te promets que je serai avec toi Katie…
  Caitlin adressa à sa petite sœur un sourire reconnaissant. Pour l'instant, c'était tout ce dont elle avait besoin ; avoir la certitude que, dans tous les cas, elle ne serait pas seule.

*

  Le jour pointait à peine lorsque Caitlin quitta son lit après avoir plus ou moins passé une nuit blanche. A l'extérieur, la pâle lueur du soleil se glissait timidement par-dessus la ligne de l'horizon, annonçant une belle journée. Près d'un mois s'était écoulé depuis la mort de Jason et de Monica et plus les jours se succédaient, plus l'automne s'annonçait doux et ensoleillé. La jeune femme avala rapidement une tasse de thé, puis entreprit de préparer le petit déjeuner. Un peu moins d'une heure plus tard, elle était rejointe par une Lucy déjà toute habillée et apparemment très excitée.
  - Est-ce que ta sœur est déjà réveillée ? demanda Caitlin après avoir embrassé sa fille.
  La fillette hocha la tête.
  - J'ai tapé à sa porte en descendant, elle refuse de descendre.
  Caitlin s'efforça de ne pas paraître trop contrariée. Elle s'y était attendue, bien sûr, mais ne pouvait s'empêcher de se sentir particulièrement déçue. Les semaines précédentes n'avaient été faites que de conflits les opposant de manière régulière, et elle savait que les choses n'allaient probablement pas s'améliorer aussi rapidement qu'elle aurait pu le souhaiter. Restait à espérer que, comme Joe l'avait dit, Angela finirait par accepter la situation.
  Caitlin et Lucy avalèrent rapidement leur petit déjeuner. Toutes deux étaient occupées à disposer les assiettes sales dans le lave-vaisselle lorsque le bruit d'une voiture retentit dans l'allée. Aussitôt, Lucy se précipita à la fenêtre tandis que, le cœur battant, sa mère prenait la direction de l'entrée. Lorsqu'elle ouvrit la porte, Megan Clarkson se trouvait déjà sur le perron, accompagnée d'une fillette au teint pâle et à la chevelure sombre. L'enfant leva les yeux du sol lorsque Lucy s'approcha, mais rien ne vint perturber l'expression triste et las de son visage. S'efforçant de dissimuler au mieux sa nervosité, Caitlin adressa un petit sourire à l'assistante sociale puis prit presque maladroitement la main de la petite fille dans la sienne.
  - Bienvenue dans ta nouvelle maison, Rose, dit-elle en refermant la porte.

 

Fin